Croissance ou valeur : Est-ce si important?

David Arpin
MA,CFA
Vice-président principal, Gestionnaire de portefeuille, Cochef d'équipe

Au cours de la dernière décennie, Mackenzie Bluewater la croissance a surpassé la valeur. Avec le récent retour des investissements axés sur la valeur, les investisseurs ne devraient-ils pas suivre la rotation du marché ou existe-t-il une alternative à ce choix binaire?

L’équipe Mackenzie Bluewater, reconnue pour son style de placement de « croissance prudente », génère de la richesse à long terme pour ses clients depuis plus de 25 ans. Nous nous sommes entretenus avec David Arpin, économiste en chef et gestionnaire de portefeuille de l’équipe, pour comprendre la rotation actuelle du marché et la raison pour laquelle, contrairement à la croyance populaire, la « croissance » et la « valeur » ne sont pas foncièrement opposées.

Quelle est votre opinion au sujet du débat « croissance ou valeur »?

À nos yeux, le « ou » n’a jamais eu de sens. Une action ne peut vous rapporter de l’argent que de trois façons. La valorisation peut changer (« valeur »), l’élément sous-jacent que vous examinez (comme les flux de trésorerie disponibles, le chiffre d’affaires, les bénéfices, la valeur comptable) peut augmenter (« croissance »), ou la société peut vous verser des flux de trésorerie générés à l’interne sous la forme d’un dividende ou d’un rachat (« revenu »). Une société peut à la fois comporter des caractéristiques de valeur, de croissance et de revenu – les meilleurs placements affichent habituellement au moins deux des trois. Une société peut également n’en comporter aucune : faible croissance, pas de revenus, et titre onéreux. Il n’y a pas de conflit inhérent entre la valeur, la croissance et le revenu. 

“Essentiellement, la valeur et la croissance au sens classique constituent une histoire intéressante, mais elles ne sont pas aussi significatives dans un monde submergé par des masses d’informations. il s’agit d’un arbitrage trop simpliste”

Il peut être utile de penser à l’histoire de la valeur et de la croissance. La valeur classique à la Ben Graham consistait à trouver des sociétés « malaimées et non suivies » et dans les années 1920 et 1930, il était facile de les dénicher (avec de nombreux exemples à l’appui). Avec l’arrivée des investisseurs professionnels, cela est devenu beaucoup plus difficile, mais toujours possible. Toutefois, la combinaison de l’Internet et de l’énorme puissance informatique axée sur les marchés des capitaux a repoussé cette recherche à la périphérie du marché. L’on pourrait raisonnablement soutenir qu’il existe des sociétés à microcapitalisation non suivies et grossièrement mal évaluées dans les marchés émergents. On ne peut pas vraiment en dire autant pour les composantes de l’indice S&P 500, qui sont scrutées chaque seconde par des programmes d’intelligence artificielle. Auparavant, au début de votre carrière, si vous souhaitiez obtenir le rapport annuel d’une société, vous deviez l’appeler et lui demander de vous l’envoyer par la poste. Aujourd’hui, à la seconde où un 10K (ou tout autre rapport) est déposé sur Edgar, il est automatiquement et presque instantanément décortiqué. Toutes les sociétés sont suivies, et puisque les ordinateurs n’ont pas d’émotion, le « manque d’amour » sera probablement inhabituel et de courte durée.

La démarche axée sur la croissance classique a émané de Phil Fisher et était basée sur sa constatation que des sociétés comme Motorola, qui était une société en croissance dans un domaine en croissance, pouvaient dégager des rendements composés élevés sur une période prolongée. À l’époque, c’était une vision incroyable. Cette démarche a été popularisée par Warren Buffett et Charlie Munger dans les années 1970 et pendant les années 1990, et est maintenant fondamentalement comprise et fortement ignorée par le marché. Les sociétés qui sont jugées être à forte rentabilité ont tendance à se négocier moyennant des primes de valorisations importantes qui contrebalancent une partie, sinon la totalité, de l’avantage de leur croissance. En d’autres mots, trouver une « société formidable » ne suppose plus de trouver un « placement formidable ».

Essentiellement, la valeur et la croissance classiques constituent une histoire intéressante (que les investisseurs fondamentaux doivent connaître), mais elles ne sont pas aussi significatives dans un monde submergé par des masses d’informations et bénéficiant d’une forte puissance informatique. Il s’agit d’un arbitrage trop simpliste.

La récente rotation du marché n’était-elle pas une question de changement depuis la croissance vers la valeur?

Si elle se manifeste ainsi, en termes d’indices de marchés, c’est davantage une question de construction de l’indice. La rotation s’est en fait produite depuis la sécurité vers la cyclicité et depuis la déflation vers l’inflation, ce qui est tout à fait sensé dans un monde qui se dirige vers une réouverture postérieure à une pandémie.

D’une certaine manière, le cadre de « la croissance ou la valeur » découle de la méthodologie indicielle qui consiste à cloisonner les sociétés dans les indices S&P 500 Valeur et S&P 500 Croissance en fonction des critères suivants : 

Le ratio cours/valeur comptable, d’après Fama et French dans les années 1970, ce qui était tout à fait sensé dans un monde industriel, mais qui l’est beaucoup moins dans un monde dominé par les marques et la propriété intellectuelle.

Le ratio cours/chiffre d’affaires, qui serait extrêmement sensé si les sociétés affichaient toutes des marges similaires. Malheureusement, ces marges s’échelonnent depuis près de zéro à 35 % ou plus. Les sociétés à faibles marges (les détaillants à rabais, par exemple) sembleront toujours « bon marché » selon leur ratio cours/chiffre d’affaires, et les sociétés à marge élevée (logiciels) sembleront toujours « onéreuses » sans égard à leur valorisation.

Le ratio cours/bénéfices, qui comporte toutes sortes de problèmes bien connus (que la plupart des investisseurs, à mon avis, tentent de contourner au moyen d’une sorte de méthodologie de « transformation en liquidités »), mais qui, selon nous, est le meilleur des trois.

La construction de l’indice semble avoir créé un bizarre problème de penchant dans l’indice de valeur, lequel est dominé par une poignée de secteurs apparemment sans égard à la valorisation. Des entreprises à valeur comptable élevée et (ou) à faibles marges auront tendance à être classées dans la catégorie de la valeur même si elles se négocient à ce que nous jugeons être des valorisations très élevées avec une forte présence de secteurs comme celui des logiciels, dont la valeur comptable est faible ou nulle, et les marges, élevées.

La manière dont nous voyons les indices de valeur et de croissance est qu’ils sont devenus des références (relativement mauvaises) de la cyclicité. Les secteurs à valeur comptable élevée et à faibles marges (pour une raison quelconque) semblent surtout être des domaines procycliques (services bancaires et énergie, qui ensemble composent plus de la moitié de l’indice S&P 500 Valeur pure). À l’heure actuelle, l’indice de croissance est plus varié, avec une importante pondération dans des sociétés qui sont moins sensibles au PIB. Par conséquent, à notre avis, le rendement relatif des indices de valeur et de croissance n’a pas grand-chose à voir avec la « valeur » et la « croissance »; c’est très clairement une question de cyclicité.

Cette rotation marque-t-elle le début d’un cycle prolongé, semblable à celui que nous avons connu dans les années 1970 et les années 2000?

Selon nous, pour que cela se produise, les entreprises des secteurs axés sur la valeur devront enregistrer une amélioration de leurs résultats, en plus de la reprise à court terme après la COVID. C’est ce qui s’est passé lors des précédents cycles de valeur importants et à long terme pendant lesquels les secteurs axés sur la valeur ont connu un long cycle de croissance. Par exemple, les prix des produits de base ont fortement augmenté de 1998 à 2008, lorsque pétrole est passé de 11 $ à 145 $ le baril, et le marché est passé d’une vision d’abondance à des craintes d’un pic d’approvisionnement en pétrole. Cela, jumelé à la bulle de l’habitation et financière aux É.-U., a été au coeur du rendement de beaucoup supérieur de la valeur pendant les années 2000. Les années 1970 ont connu une histoire semblable, avec une inflation en hausse et des prix des produits de base très robustes (le pétrole et l’or étaient en hausse de plus de 1 000 %). Les sociétés de ces secteurs ont affiché une forte croissance au cours de la décennie et ont été réévaluées en conséquence.

Si la présente décennie s’avère une où nous émergeons d’une stagnation à long terme, et que la croissance économique est robuste (ce qui suppose des prix des produits de base plus élevés et une courbe de rendement plus accentuée), l’indice de valeur devrait alors surpasser l’indice de croissance sans égard à la valorisation; les sociétés se comporteront mieux étant donné qu’elles sont procycliques et qu’elles afficheront une croissance solide de leurs bénéfices. S’il s’avère qu’après la reprise, nous revenons vers une stagnation de croissance moins forte (ce qui suppose qu’il s’agirait davantage d’un problème fondé sur des éléments démographiques et perturbateurs), nous nous attendrons alors à ce que l’indice de croissance se comporte mieux, même s’il s’agit d’un scénario où, de manière ironique, la croissance du PIB serait notablement moins élevée.

Ce qui fait en sorte que la présente décennie est plus difficile à prévoir que les années 1970 ou 2000, c’est que nous vivons une période de changements technologiques extrêmement rapides. Partout dans le monde, nous observons une transition de l’énergie, des combustibles fossiles aux énergies renouvelables. Le secteur mondial des transports devrait de plus en plus adopter l’électrification, alors qu’une importance de plus en plus grande est accordée à l’écologisation et au déploiement massif de l’hydrogène comme carburant largement utilisé. Il est prévu que cela aura une grande incidence, bien que mitigée, sur la demande pour les produits de base, rehaussant la demande pour certains produits de base et provoquant une baisse marquée de la demande pour d’autres. Cette situation est différente de celle des années 1970 et plus particulièrement des années 2000, pendant lesquelles l’émergence de la Chine a entraîné une demande massive pour tous les produits de base. Comme toujours, nous continuerons de rechercher des placements qui tireront parti de ces tendances à long terme en évolution.

Disons seulement qu’en général, la valeur « ou » la croissance est une chose à laquelle nous avons pensé, mais nous ne croyons pas qu’elle soit particulièrement importante ou utile. Chez Bluewater, nous tentons toujours d’intégrer les trois composantes de valeur, de croissance et de revenu dans notre style de placement comme le font probablement la plupart des investisseurs fondamentaux.

“A notre avis, le rendement relatif des indices de valeur et de croissance n’a pas grand-chose à voir avec la « valeur » et la « croissance »; c’est très clairement une question de cyclicité.”

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David Arpin
MA,CFA
Vice-président principal, Gestionnaire de portefeuille, Cochef d'équipe

S’est joint à Bluewater en 2012; expérience en placement depuis 1995.

  • Au cours de la dernière décennie, M. Arpin a dirigé les mandats américains et mondiaux de l’équipe, y compris l’exposition étrangère dans le mandat canadien.
  • M. Arpin apporte sa formation d’économiste et plus de 20 ans d’expérience en tant que gestionnaire de portefeuille spécialisé dans les actions américaines/mondiales.